Leeya est une jeune femme souriante et douce. J’ai eu la chance de la rencontrer quelques mois après son emménagement près de Limoges, chez elle, dans son studio tattoo.
J’ai mis très longtemps à publier cette interview et je tiens à m’en excuser auprès de toi, Leeya. J’espère que tu ne m’en voudras pas trop.
Partons dès maintenant en direction d’une pièce aménagée dans sa maison spécialement pour le tatouage, en plein milieu de la campagne Haut-Viennoise.

Bonjour Leeya, d’où nous viens-tu ?
J’ai beaucoup bougé. Je n’ai pas trop de racines finalement. Mais juste avant d’être ici (ndlr. en Haute-Vienne, près de Limoges) j’étais sur le bassin d’Arcachon, et encore avant ça Lyon, Millau, Montpellier, Avignon…
En fait je suis née à Lyon. Je n’y ai pas grandi, mais 20 ans après je suis revenue y vivre quelques années.
Quand as-tu commencé à tatouer ?
Cela va faire 8 ans. Je me suis lancée assez tardivement, sachant que je connaissais un peu le milieu. Je savais qu’il fallait avoir du caractère et j’ai conscience de ne pas être extravertie.
Mais je m’intéresse au tattoo depuis que j’ai 14 ans, grâce à Eminem dont les tatouages me subjuguaient. D’ailleurs, j’ai commencé à me faire tatouer à 17 ans.
Tu peux nous parler de ton parcours ?
Je suis graphiste de formation. J’ai fait 3 années d’études dont 1 en alternance où je travaillais pour des clients dans le secteur du luxe. Malheureusement il n’y avait aucune création, on me demandait de faire que de la production.
Je me suis alors installée en Freelance et… cela a été un échec total. Je ne savais pas me mettre en avant. Démarcher était difficile et donc trouver de la clientèle était très compliqué.
J’ai donc arrêté et suis partie à faire plein de petits métiers : restauration, prêt-à-porter…
Par contre j’ai toujours continué à dessiné et j’ai la chance d’avoir des amis très proches qui m’ont poussée à me décider à intégrer une activité de tatoueuse.

Comment as-tu franchi le pas ?
J’ai dessiné pendant 1 an. Je me suis accordée cette année « sabatique » sur le bassin d’Arcachon. J’ai pu me reconnecter avec le lieu, ma famille, mes amis…
Puis j’ai cherché un apprentissage. J’en avais trouvé un à Toulouse. Mais au dernier moment le propriétaire du shop a fait marche arrière en me disant qu’on ne pouvait pas être tatoueur et passionné par plein d’autres choses.
Et… ?
Et bien aujourd’hui je suis tatoueuse, j’ai mes chevaux, et donc je prouve que l’on peut vivre de toutes ses passions.
À cette époque, j’ai été très soutenue par ma meilleure amie qui m’a motivée pour aller me présenter dans tous les shops du bassin d’Arcachon. Ce que j’ai fait.
J’ai été prise dans un petit shop où il n’y avait que des guests. Il y avait très peu de résidents, mais beaucoup d’artistes avec beaucoup de styles différents.
J’ai été apprentie et ai pu créer mon propre style, avec beaucoup de liberté, entourée de tous ces professionnels.
Je me suis à nouveau trouvée contrainte d’arrêter ma formation plus tôt que prévu et je me suis retrouvée dans la « jungle » de ce milieu.
Je me suis alors proposée en tant que guest et je suis encore impressionnée par le nombre de propositions que l’on m’a faites. Et là c’est parti…
Il faut dire que tu as un style très reconnaissable.
Je me suis cherchée pendant de nombreuses années. J’ai aujourd’hui un style néo-traditionnel après être passée par différentes phases. Je reste toujours dans un monde animaux-faune-flore.
Il y a beaucoup de douceur dans tes créations. Beaucoup de jaune-orangé aussi…
Oui c’est ma couleur. On peut le voir sur mon profil Instagram. J’utilise en effet peu de rose, de violet, de bleu.
Par contre, je ne refuse pas de travailler avec des teintes plus froides. Et d’ailleurs j’apprécie. J’ai eu beaucoup de plaisir à réaliser dans ces teintes la carpe Koï que l’on peut voir sur mon Insta.
En vrai, j’aime toutes les couleurs, et je suis toujours à la recherche d’un équilibre.
Tu as une relation particulière aux animaux ?
Oui. D’abord j’aime tout ce qui fait référence à la nature. Il y a toujours de la douceur dans mes créations, même lorsque je veux y mettre plus d’agressivité pour certains animaux.
Penses tu que les tatouages que tu réalises représentent ta personnalité, même s’ils répondent à une demande précise ?
Oui c’est indéniable. J’ai fait par exemple des crânes, mais sincèrement ils ne sont pas vraiment flippants. On ne va pas se mentir.
Je suis très portée sur les félins. D’ailleurs sur moi j’ai beaucoup de carnivores.
Que tu fasses un chat, un tigre ou un lion, les animaux que tu dessines donnent envie de les prendre dans les bras et de leur faire des bisous.
C’est ma conception de l’animal. Nous vivons à 9 et je suis la seule humaine du groupe.
Est-ce qu’à un moment tu as eu envie de fuir les humains ?
Oui. J’ai mis longtemps à trouver ma place dans le monde humain. Je trouve qu’on prend beaucoup de place sur la planète. Pendant très longtemps, j’ai trouvé cela injuste. Ce n’est que maintenant que je commence à trouver ça chouette. Parce que j’ai accepté et compris pourquoi j’étais là.
J’avais besoin de fuir l’humain, car j’ai du mal à accepter la violence qu’il a envers ses congénères ou envers les animaux qui ont une pureté d’âme, même si ils peuvent être très violents. Mais les animaux le sont par nécessité et il n’y a pas de faux-semblants avec eux.
Je dois dire que trouve que les jeunes générations sont de plus en plus conscientes et éveillées concernant ce qu’il se passe dans notre monde actuel.
Malgré tout, j’essaye d’être toujours ouverte et tolérante. Il est important d’être bienveillant les uns envers les autres.

Aujourd’hui, tu vis dans un endroit privilégié, très calme.
Je suis très bien ici. Je n’ai pas un tempérament à faire la fête. Je suis très solitaire. Pour moi le silence est d’or. Le calme et la sérénité sont essentiels à ma vie.
Est ce que tes clients te ressemblent ?
J’ai la chance d’avoir une communauté incroyable. Et c’est pour cela que j’adore mon métier. Je me retrouve à travers mes clients, même si nous avons des vies différentes, nous avons beaucoup de valeurs communes.
Ma clientèle est féminine à 90 %. Mais je suis aussi très heureuse lorsque des hommes me demandent le les tatouer.
Les femmes sont plus sensibles aux animaux. Elles viennent de très loin. J’ai d’ailleurs pu me permettre de m’isoler car j’ai une clientèle fidèle et qui se déplace. Elle vient de partout en France. J’ai aussi beaucoup de clients qui viennent de Dordogne. J’ai eu un shop là-bas pendant 3 ans et lorsque je suis partie, ils m’ont suivie.
Quelle est l’attente pour se faire tatouer par toi ?
C’est la grande question. Avant c’était environ 5 mois. Aujourd’hui avec la crise économique, je n’ai qu’un mois d’attente.
Quand une personne me contacte par mail, je demande beaucoup de renseignements et de détails. Je désire avoir un maximum d’information pour cerner la personne et son vécu.
Je prépare le dessin quelques jours avant la date de rendez-vous. En général, je mets les croquis en story sur Instagram en début de semaine et c’est là que les clients découvrent leur projet. Ils sont absolument ravis dans 95 % des cas. Pour les 5% restant nous faisons les petites modifications en face à face.
Je suis très intuitive et ressens beaucoup les gens donc à ce moment nous nous comprenons vite pour trouver le dessin idéal.

Est ce que c’est compliqué de devenir tatoueuse dans un milieu très masculin, parfois macho ?
Je n’ai pas trouvé. J’ai eu la chance de le vivre comme étant beaucoup soutenue par les hommes du métier. Je ne sais pas si les autres tatoueurs peuvent dire la même chose. Personnellement j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes.
Quels sont tes projets ?
Vivre au jour le jour m’occuper de mes animaux, continuer à tatouer et advienne que pourra. La période est très compliquée. Il est difficile de se projeter.
Et la suppression des encres de couleur ?
C’est très difficile. Rien n’est définitivement décidé pour le moment, ni dans un sens, ni dans l’autre. Mais c’est très compliqué, notamment pour des tatoueurs comme moi qui utilisent énormément la couleur dans leurs créations. Nous suivons l’actualité au fil des informations transmises par nos syndicats, mais nous restons dans l’expectative.
Des encres aux nouvelles normes sont en train de sortir mais le résultat n’est pas fameux. Cela reste une affaire à suivre.
Est-ce un effet d’annonce, s’agit-il de nous contrôler ou contrôler les dérives, je ne sais pas. Cette loi européenne, à mon sens, vise plutôt à éviter le travail au noir. De fait nous en payons tous les pots cassés.
Tu vas être dans des conventions ?
Pas pour l’instant. J’ai tourné pendant 3 ans. Aujourd’hui, j’ai envie de rester ici avec mes animaux et d’exercer mon métier chez moi. Je ne dis pas « plus jamais », simplement je m’accorde le droit de ne pas bouger tant que je n’en ressens pas l’envie.
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Photos Instagram Leeya
Interview et article So Peuch